Nous étudions depuis plusieurs années la protéine-kinase CK2, une enzyme essentielle pour le contrôle de la prolifération et de la survie cellulaire. Des criblages de collections de molécules chimiques sur la plate-forme du CMBA de notre institut ont permis d’identifier diverses classes d’inhibiteurs de CK2 dont certains possèdent des propriétés anti-tumorales dans des modèles pré-cliniques
[1].
Le développement de nouveaux médicaments implique de pouvoir évaluer rapidement et précisément la réponse des patients, en termes d’efficacité thérapeutique et d’effets secondaires potentiels, et en fonction du type ou du sous-type de pathologie. Cette évaluation passe par l’utilisation appropriée de marqueurs biologiques de la maladie, fiables et si possible prédictifs, ainsi que par le développement de tests dits
théranostiques mis au point à partir de ces biomarqueurs. Parce qu’ils sont adaptés aux essais de candidats médicaments, ces tests devraient permettre de réelles avancées vers le concept de médecine personnalisée.
Dans ce contexte, la CK2 représente-t-elle un biomarqueur pertinent dans les pathologies cancéreuses ? L’évaluation par immuno-histochimie (IHC) de l’expression de CK2 sur des coupes de tissus tumoraux est restée pendant longtemps impossible en raison du manque d’anticorps adéquats. Nous avons donc développé avec le soutien de GRAVIT un anticorps spécifique utilisable en IHC. Une première étude réalisée avec l’unité d’Urologie du CHU de Grenoble a démontré une forte corrélation entre l’expression de CK2α et des facteurs de mauvais pronostique dans une cohorte rétrospective de 131 adénomes prostatiques
[2].
Par ailleurs, des observations ont suggéré un lien entre une surexpression de CK2α et la carcinogenèse mammaire chez la souris. Nous avons donc mené en collaboration avec le CHU de l’Hôpital Nord de Marseille une analyse par IHC quantitative de l’expression de CK2α et de 32 autres marqueurs sur des TMA (
Tumor Macro-arrays) issus d’une cohorte de 1 000 carcinomes mammaires (
Figure).
Des analyses en modes uni- ou multivariés montrent que la surexpression de CK2α est d'une part corrélée avec une durée moyenne de survie des patientes diminuée, et représente d'autre part un indicateur prédictif fort d’un risque métastatique
[3]. Nos résultats sont en accord avec une étude génomique sur le cancer du sein, qui a montré que CK2α fait partie de la signature des gènes d’invasion
[4]. Ces observations prennent toute leur importance au vu des premiers essais cliniques d’inhibiteurs chimiques de CK2
[5].
En ayant les propriétés d’un marqueur dans plusieurs types de cancers et les qualités requises d’une cible thérapeutique, CK2 a acquis le statut d’un biomarqueur théranostique pertinent.
Théranostique : Néologisme dérivant de la contraction de thérapeutique et de diagnostic. C'est l'utilisation du diagnostic
in vitro pour orienter le traitement du patient. Devant une pathologie donnée, les cliniciens recherchent certains biomarqueurs qui informent sur les mécanismes physiopathologiques sous-jacents et permettent donc de choisir la ou les molécules les plus efficaces dans ce contexte.